Le plateau des Spite existe aussi dans les autres galaxies: l'exemple de omega Centauri

L'abondance de lithium dans les étoiles anciennes (le plateau des Spite) a été considéré comme un des indicateurs primaires de la densité baryonique de l'Univers, pendant plus de vingt ans. Il a été, en fait, considéré comme un des piliers qui soutient la cosmologie du Big Bang. La mesure précise de la densité baryonique, par l'étude des fluctuations du fond cosmologique à micro-ondes a fourni un valeur beaucoup plus élevée que prévu par le plateau des Spite. Plusieurs solutions de ce "problème du lithium cosmologique" ont été envisagées. Certaines postulent une physique nouvelle dans l'Univers primordial, d'autres une évolution spécifique de notre Galaxie, ou une déplétion du lithium dans les atmosphères des étoiles anciennes. Pour éclaircir ce problème, une équipe de chercheurs, incluant un membre de l'Observatoire de Paris, a utilisé le télescope de 8.2m de l'ESO, VLT-Kueyen, pour mesurer, pour la première fois, le lithium dans une galaxie externe: omega Centauri. Le résultat est surprenant, les étoiles de omega Centauri montrent un plateau des Spite, comme les étoiles de notre Galaxie. Toute solution du "problème du lithium cosmologique" doit forcément tenir compte de l'universalité du plateau des Spite.

La composition chimique du Soleil et du système Solaire est le résultat d'une évolution complexe, dans laquelle les différents éléments sont produits progressivement par les générations d'étoiles. Quand on observe des étoiles de plus en plus vieilles on observe des abondances décroissantes de tous les éléments, carbone, oxygène, fer, etc. Avec une importante exception: le lithium. Au début des années 1980 Monique et François Spite, de l'Observatoire de Paris, ont découvert que toutes les étoiles vieilles de notre Galaxie ont la même abondance de lithium. En fait si on fait un graphique des abondances de lithium en fonction de l'abondance d'un autre élément, par exemple le fer, on trouve un plateau, qui est appelé le plateau des Spite. L'explication, la plus simple, du plateau est que le lithium observé dans ces étoiles a été produit pendant le Big Bang, en même temps que la majorité de l'hélium présent dans l'Univers. Dans ce cas la quantité de lithium produit est une fonction du rapport entre baryons et photons, donc de la densité baryonique de l'Univers. Pendant plus de vingt années la concordance des abondances primordiales mesurées des isotopes produits dans le Big Bang, deuterium, les deux isotopes stables de l'helium 3He et 4He, et 7Li, avec une seule valeur de la densité baryonique a été considerée un des piliers de la cosmologie du Big Bang. Pourtant cette concordance était basée sur des erreurs plutôt grandes, des mesures des abondances primordiales. La mesure très précise de la densité baryonique obtenue par l'étude des fluctuations du fond cosmologique de micro-ondes, couplée avec la théorie standard de la nucleosynthèse dans le Big Bang implique une tension avec le plateau des Spite (Fig. 1).


Figure 1: L'abondance primordiale de lithium prédite par la nucleosynthèse dans le Big Bang,
en fonction du rapport entre le nombre de baryons et le nombre de photons (fig de Bonifacio 2004).
Les lignes bleues sont les erreurs à un sigma. La ligne horizontale épaisse est le niveau observé du plateau des Spite,
les lignes fines indiquent l'erreur à un sigma, les lignes en tirets sont la somme des erreurs statistiques et systématiques.
Les lignes verticales rouges sont les valeurs du rapport déduit à partir des fluctuations du fond cosmologique
avec son erreur de un sigma (lignes verticales en tirets).

Beaucoup de solutions ont été proposées pour ce "problème du lithium cosmologique" et parmi celles-ci quelques unes qui postulent la destruction d'une partie du lithium produit dans le Big Bang. Un scénario postule que 50% du matériel qui forme le halo de la Galaxie a été processé à l'intérieur d'une génération d'étoiles massives, qui ont détruit le lithium (Piau et al. 2006). D'autres introduisent un mécanisme physique, comme la diffusion, pour mélanger profondément la matiére des atmosphères stellaires, ce qui entraîne la dépletion du lithium (Richard et al. 2005).

Une nouvelle perspective s'ouvre quand on étudie une galaxie externe, avec une histoire évolutive différente de celle de la Voie Lactée. Dans chaqun des scénarios ci-dessus, on peut s'attendre à une situation différente pour les abondances de lithium, soit l'absence d'un plateau des Spite, soit un plateau, mais à un niveau différent.

Omega Centauri (Fig.2) est ce qui reste d'une galaxie satellite, capturée par la Voie Lactée. Elle a sûrement perdu une grande partie de sa masse par effet de marée, néanmoins elle a une masse qui est dix fois plus grande que les amas globulaires les plus massifs. Elle héberge un mélange compliqué de populations stellaires d'âges et métallicités différents. Les étoiles du "turn-off" et les sous-géantes sont observables à des magnitudes de 17.5 jusqu'à 18, très faibles, mais observables avec un télescope de 8 mètres.


Figure 2 Une image composée de omega Centauri obtenue avec le Wide Field Imager
et le télescope 2.2m MPI/ESO à La Silla (Chili, copyright ESO).

Pour mesurer l'abondance de lithium dans ces étoiles, 19 heures d'intégration ont été nécessaires sur le télescope ESO VLT-Kueyen et l'instrument Flames/Giraffe (construit au GEPI). Il en résulte des spectres de qualité excellente qui ont permis une mesure précise de l'abondance du lithium. Les chercheurs ont été plutôt surpris de découvrir un exemple typique du plateau des Spite, comme dans notre Galaxie.


Figure 3: Le plateau des Spite dans omega Centauri, tel qu'il est révélé par les observations Flames/Giraffe.
Toutes les étoiles observées ont la même abondance de lithium, quelle que soit leur métallicité ou température.

Ce résultat rend impossible n'importe quelle solution du "problème du lithium cosmologique" qui postule une évolution spéciale pour notre Galaxie, comme le modèle de Piau et al. En même temps il pose de fortes contraintes à tous les modèles qui postulent la déplétion du lithium dans les atmosphères stellaires, puisqu'il est nécessaire de trouver la même déplétion pour les étoiles d'âge, masse et métallicité différents. L'intervalle d'âges couvert par les étoiles observées est matière à débats, néanmoins, selon l'analyse de Villanova et al. (2007) cet intervalle est de 5 milliards d'années. Il est clair que des explications qui reposent sur des phénomènes lents et dépendant du temps, comme la diffusion, auront du mal à expliquer cette homogéneité. Si les explications "stellaires" du "problème du lithium cosmologique" ont des difficultés, peut être il serait intéressant de chercher du côté d'une nouvelle physique au moment de la nucléosynthèse. Toute le monde attend avec impatience les nouvelles découvertes attendues du Large Hadron Collider !

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